Une proto -maçonnerie en Lorraine fut en attente pendant presqu' un demi-siècle

Je tiens à préciser que ce qui suit doit être considéré comme éléments pouvant essayer de s'approcher de la vérité. Car le duché de Lorraine eut tout particulièrement cette particularité de voir venir s'installer beaucoup d'anglo-saxons dès le XVIIe siècle. Ce fait est incontestable et l'hypothèse que l'implantation de la franc-maçonnerie anglo-saxonne ait pu attendre le bon moment et qui fut l'arrivée du roi Stanislas, ouvert aux idées nouvelles ne doit pas être réjetée, mais rester dans le domaine du possible. C'est ainsi qu'une loge travailla en 1737 à Lunéville.

L’implantation en Lorraine de ce nouvel espace de sociabilité qu’est la franc-maçonnerie dut probablement attendre presque un demi-siècle après l'arrivée des premiers Jacobites sur le continent. En effet, trois causes essentielles durent se succéder au terme d’une longue maturation, afin qu’elle s’exprime dans le duché lorrain

Première cause possible : arrivée de jacobites sur le continent

 

Les soldats anglo-saxons catholiques accompagnant Jacques II d'Angleterre et venus se réfugier en France en 1689 après la Glorieuse révolution qui vit ses trois trônes d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande se voir confisqués  par le protestant Guillaume III d'Orange, se réfugièrent sur le continent avec leurs loges maçonniques attenantes à leurs régiments. Parmi ces soldats anglais, écossais et surtout irlandais qui déferlèrent dans les pays catholiques, beaucoup d’entre eux s’installèrent à  Saint-Germain-en-Laye, près de leur roi exilé. Or il est incontestable que parmi ces hommes qui stationnèrent sur le territoire français en attendant un hypothétique retour sur leurs îles, il y eut une exceptionnelle partie importante d’entre eux qui choisit de venir vivre en Lorraine. Mais avant que de faire souche à Lunéville en 1737, une sorte de proto-maçonnerie, probablement précéda l’existence de cet espace de sociabilité qui faisait florès en Grande Bretagne. Cette proto-maçonnerie resta longtemps larvée car son implantation n'était pas si évidente que cela, pour ne pas dire impossible dans le contexte, dans un duché très catholique dont la connotation protestante, parce que d'origine anglaise, aurait pu rebuter l'autorité lorraine.

 

Deuxième cause possible : l’initiation du serrurier armurier du duc Léopold

 

C’est l’initiation à l’Art Royal de Philippe Vayringe, qui reçut la Lumière à Londres en 1722. Ce serrurier, armurier et horloger fut envoyé par le duc Léopold Ier en Angleterre, le 5 septembre 1721, afin de se perfectionner en physique et en mécanique nouvelle auprès du célèbre savant et physicien, Jean Théophile Désaguliers, celui que nous connaissons pour être à l’origine de la Grande Loge de Londres et qui, deux ans plus tard, en collaboration avec le pasteur James Anderson, participera à la rédaction des Constitutions dites d’Anderson, régissant la franc-maçonnerie anglaise. Il est permis de supposer que Vayringe ne dissimula pas son appartenance maçonnique quand il revint à Lunéville.

Or quand François III, qui avait passé une partie de sa jeunesse à la cour de Vienne de 1723 à 1729, revint régner à Lunéville de 1729 à 1737, après la mort de son père, le duc Léopold, on sait que, pendant deux ans, il eut souvent l’occasion de discuter avec Philippe Vayringe pour des travaux considérables à entreprendre dans le château et dans les jardins du palais. Quand François III, le 27 avril 1731, quitta définitivement Lunéville pour ne plus y revenir, laissant la régence à sa mère Élisabeth Charlotte, avant de rejoindre Vienne, on sait qu’il passa par La Haye pour se fait initier à la franc-maçonnerie et se voir conférer les grades d’Apprenti et de Compagnon à La Haye par Théophile Désaguliers, celui qui avait initié Vayringe et dont il était resté l’ami, le frère et le confrère. On ne voit donc pas la raison qui interdirait de s’appuyer sur de telles coïncidences. Puis, après avoir obtenu les deux premiers grades dans les Provinces-Unies, il profita de son passage en Angleterre pour obtenir la plénitude de ses droits maçonniques, c’est-à-dire le grade de Maître. Ceci étant, François III ne reviendra plus en Lorraine après son initiation, et on ne peut donc faire l’erreur de penser c’est lui qui a été directement à l’origine d’une loge maçonnique à Lunéville. En revanche, on peut imaginer, sans trop d’hardiesse, que Vayringe, notre génial serrurier n’a sans doute pas été sans influence sur la détermination de François III à vouloir devenir franc-maçon. N’ont-ils pas eu tous les deux de nombreuses occasions d’aborder ce sujet très en vogue qu’était la franc-maçonnerie, celle d’Angleterre que Vayringe connaissait depuis peu ?

 

 

Troisième cause : Jacques III s’installa à Bar-le-Duc

 

Le 22 février 1713, le Vieux Prétendant, appelé également chevalier de Saint George, arriva dans la capitale du Barrois, accompagné d’une cour composée de « gentilshommes anglais, écossais, surtout irlandais, anciens compagnons d’exil de son père. Ce roi d’Angleterre en attente d’un royaume incertain se déplaçait avec sa cour nombreuse et parmi laquelle on comptait évidemment beaucoup de francs-maçons, comme le comte Charles de Middleton, son secrétaire d’état, dont le fils, troisième comte du nom, figurera sur le tableau de loge Saint Thomas n°1, parmi les dix-sept jacobites et les huit Français qui la constitueront ; également avec certitude le nom de Roger Strickland, un jacobite de la première heure et dont le fils combattra à Culloden, en 1745 ; on peut avancer aussi sans risque le nom de David Nairne, le théoricien du secret maçonnique à Saint-Germain-en-Laye et le biographe de Jacques II. On sait qu’en 1715 Jacques III croyant que le moment était favorable pour ressaisir la couronne d’Angleterre partit avec ses partisans en 1715 pour reconquérir des royaumes, mais l’expédition se solda par un véritable désastre pour les jacobites. Jacques III, désabusé, s’installa à Rome où les papes le pensionnèrent jusqu’à sa mort. À partir de ce moment une bonne partie de sa cour ne le suivit plus et certains nobles irlandais ou écossais s’installèrent un peu partout en France et aussi en Lorraine.

 

 



En 1737, la franc-maçonnerie s’installa vraiment à Lunéville

 

Alors que la première loge maçonnique française  avait allumé ses feux en 1725 / 1726 à Paris et que Metz avait vu une loge s'implanter en 1735, composée de parlementaires, de juristes et de Conseillers du roi, les Trois Evêchés appartenant à la France, c’est peu de temps après l'arrivée du Roi Stanislas que la franc-maçonnerie fit son apparition à Lunéville.