LE RITE dit DE LUNEVILLE

                                    RITE DIT DE LUNÉVILLE

 

 L'intérêt de la cour de Léopold pour la maçonnerie d’inspiration jacobite est confirmé par la multiplication des frères avérés à la cour de Lunéville dans les années suivantes.

 

En Lorraine, la maçonnerie, longtemps imprégnée de jacobitisme, restait majoritairement centrée sur une ligne catholique et chevaleresque.

Un frère strasbourgeois Charles Haudot, fondateur du Musée du Sceau alsacien retrouva la transcription d’un ancien rituel « dit de Lunéville » dans des archives concernant la Stricte Observance Templière . Ce rituel est empreint d’une religiosité affirmée, une orientation qui serait parfaitement cohérente à Lunéville, où la maçonnerie peut être davantage perçue comme un approfondissement de la religion, que comme une concurrence. La partie de ce texte concerne la décoration et l’installation du temple en annexe, sachant qu’il existe également une partie plus rituélique présentant le déroulement des travaux en loge d’apprenti. Les éléments permettent d’imaginer avec une grande précision comment est organisée la loge, dans un « appartement », sans doute aménagé au sein du château de Lunéville. Nous retrouvons, comme pour les autres rites contemporains, plusieurs symboles représentés dans la loge : le soleil d’or rayonnant (peut-être est-il, comme sur les céramiques de l’époque, représenté trois fois pour montrer sa course de l’Orient à l’Occident), la lune d’argent, références cosmiques confirmées par la place accordée à l’allumage des lumières dans le rituel d’ouverture. Sans oublier la chaîne, l’étoile flamboyante, et le triangle qui, fait caractéristique, est également flamboyant. Un tel triangle rappelle étrangement le triangle « équilatéral enflammé » qui figure sur un des côtés d’une« croix à huit pointes », dont le comte de Brassac, en 1738, veut faire l’emblème de « l’Ordre de la Vérité », subterfuge lunévillois destiné à « tourner » les ordonnances de police prises à Paris, et qu’auraient pu relayer Chaomont de la Galaizière en Lorraine.

Plusieurs détails font l’originalité de ce rituel, comme l’entrée du vénérable maître par une porte distincte du reste de la loge, lui permettant d’accéder directement à son plateau à l’Orient. À l’arrière du vénérable, sur le mur d’Orient, sont placés plusieurs éléments peu courants : la statue de la Vierge Marie qui est ici très surprenante, ainsi qu’une table mobile portant le matériel nécessaire à une cérémonie de la Cène, et enfin une mystérieuse « boëtte quarrée & dorée, aux angles ornés de deux angelots » qui pourrait s’apparenter à une représentation de l’Arche d’alliance. Cette boîte est surmontée de « la Croix de l’Ordre, cerclée et pattée » : nous avons là une référence explicite et très précoce à la mythologie templière. Pour les frères de Lunéville imprégnés de culture chevaleresque, comme pour Ramsay, il ne fait aucun doute que la maçonnerie est un nouvel ordre de chevalerie, directement rattachée aux moines-soldats du Temple. Mais cette fameuse « croix pattée » a-t-elle réellement figuré dans leur loge ? On peut se le demander, car dans une lettre que Béla écrit à Bertin du Rocheret le 23 mars 1738 à propos de la décoration du temple de Lunéville, il semble que la croix des Templiers ait été remplacée par une croix de Malte, sans doute pour des raisons de commodité ou d’agrément visuel[1] :

« J’envoyais dans son temps votre lettre au frère Tavannes pour luy faire part des inscriptions que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Je n’en ai reçu aucune réponse, ce silence m’a engagé à en remettre l’exécution jusqu’à mon retour à la loge ; en attendant j’ay fait faire le modèle de la croix comme celle de Malthe sans aucune explication. »[2]



[1] Selon Pierre Mollier, vers 1730-1760, les frères emploient la croix du prestigieux Ordre de Malte, qui ressemble à certaines croix pattées templières, pour se rattacher à un Ordre de chevalerie. MOLLIER Pierre, « La croix de Malte et la franc-maçonnerie », dans Franc-maçonnerie magasine, avril-mai 2015, n°39,p. 42-43.

[2] B.N.F., ms. fr. 15176, f° 64.


Afin de comprendre ce rituel, il faut le replacer dans le contexte historique de la loge de Lunéville qui est créée en 1737 alors que les guerres civiles anglaises continuent d’ensanglanter les Iles Britanniques.

La Maçonnerie de Lunéville a été marquée dès le début par les personnalités du comte de Brassac et du Primat de Lorraine, François de Beauvau-Craon, créateurs  de la première loge. À l’évidence, ces deux introducteurs de la Maçonnerie et Vénérables de Loge ne peuvent qu’avoir joué un rôle essentiel dans l’élaboration de ce rituel dont le riche symbolisme nous conduit à une réflexion sur ses déterminismes historiques.

Cette première loge de Lunéville, « mystérieuse et brillante » selon les dires de ses contemporains, fondée par le comte de Brassac (ou par le Primat de Lorraine ? (ou par les deux ?) attirait même des Frères venant de Paris et d’autres Orients plus éloignés menacés par le Pouvoir.

Les aspects religieux de ce rituel n’ont pu être apportés que par François de Beauvau-Craon, peut-être postérieurement à la rédaction de Brassac.

On sait qu’il a été modifié en 1755 (à Dresde ?) puis encore modifié au Convent Général de l’Ordre en 1772 ( ?) Mais il est probable qu’il a été rédigé beaucoup plus tôt et à Lunéville, dès 1737. Il ressemble étrangement au rituel de la Stricte Observance Templière lequel fut modifié ensuite à plusieurs reprises jusqu’en 1772, date à laquelle ces modifications successives ont peut-être codifiées à Kohlo. Il est l’ancêtre du Rite Ecossais Rectifié. Ces transformations furent dues aux actions du mystique lyonnais, Jean-Baptiste Willermoz qui fit introduire un ensemble d'éléments ayant pour but de véhiculer, entre autre, la doctrine de Claude de Saint Martin et celle de Martinès de Pasqualy, qui relève de la Kabbale Judéo-Chrétienne, illustrée par Pic de la la Mirandole.


On remarquera la référence au culte marial contrairement à la tendance habituellement christique des premiers rituels maçonniques ainsi que la connotation templière qui est flagrante avec La Croix de l'Ordre cerclée pattée, quand on sait que la Vierge était l'objet d'un culte dans l'Ordre du Temple, ce qui est étonnant, car on s'attendrait plutôt à trouver chez ces moines soldats des représentations de Saint Michel ou de Saint Georges, c'est-à-dire de personnages guerriers. (Commentaires du Docteur Michel NICOLLET et de Jean-Pierre LASSALLE, ancien professeur de Linguistique et Littérature françaises, de l'Université de Toulouse Mirail II.)


Tapis de loge dans le rite dit de Lunéville

On pense qu'il devait être de couleur bleue claire. Une chose est sûre, il était entouré par une frange dorée sur le pourtour comme toutes les passementeries et tapisseries qui décorent le Temple.

 Organisation des décors et plateaux au sein du Temple dans le Rite dit de Lunéville. Vous constaterez beaucoup de similitudes comportementales avec le rite du R.E.R. Par exemple, à l'ouverture, le V.M. prend un boutefeu qu'il allume à la Custodia Lucis, descend  par le Midi, puis, précédé par le frère Expert allume les flambeaux des trois candélabres, donnant à chaque allumage pratiquement les mêmes formules classiques que nous connaissons, mais qui sont répétées par les Frères. Puis il revient à l'Orient par le Nord. La décoration de la loge comporte beaucoup de points communs avec celle d'une loge du R.E.R. mais diffère beaucoup par de nombreuses caractéristiques archaïques.


Fontaine des ablutions placée au Nord-Ouest du Temple dans le rite dit de Lunéville.  Pour vous donner une idée de la façon surprenante avec laquelle entre les Frères dans le Temple, ces derniers doivent faire allégeance à la fontaine des ablutions, phase de purification. Le 1er Surveillant veille à ce que les Frères respectent l'acte propitiatoire selon la règle, c'est-à-dire passer devant la bougie, puis la laisser un instant au dessus du bassin dans un large geste puis la placer sur le cœur.


Il est étonnant de constater le doute qui s'est progressivement installé sur l'existence de loges maçonniques à Saint Germain en Laye. Rappelons toutefois l'exposition organisée du 14 février au 27 avril 1992 par les Musées Nationaux au Château de Saint-Germain-en-Laye sur le thème "Le mécénat des Stuarts à Saint-Germain".  Des pièces maçonniques exceptionnelles, des tableaux représentant des dignitaires revêtus de leurs décors, des vêtements de charge, datant du 17ème siècle y étaient présentées. Ces objets illustraient les liens existant entre les Stuarts et la maçonnerie.  La loge du régiment de Dorrington, puis de Walsh Irlandais à l'Orient de Saint-Germain-en-Laye, (1688-1718) et fondée d'après le tableau du Grand Orient de France le 25 mars 1688.